Le grand échiquier russe

Publié le par Monsieur Y

 

Depuis plusieurs semaines, je suis en train de relire "Le grand échiquier", de Zbigniew Brzezinsky. Cet américain d'origine polonaise est connu pour avoir été le conseiller du Président Carter et avoir défini sa politique étrangère à la fin des années 70 et au début des années 80. Cette époque est évidemment le moment où l'URSS envahit l'Afghanistan, et Brzezinsky "est fier d'avoir attiré les Rouges dans le piège afghan" dans le seul but de faire exploser l'Union Soviétique, comme il dit. Avec le succès que l'on connaît ... Mais cette stratégie n'est certainement pas isolée, et son livre sus-mentionné est en réalité son programme pour que les Etats-Unis puissent continuer à contrôler le monde. Car, selon lui, contrôler l'Afghanistan et les pays qui l'entourent dans ce qu'il appelle les "Balkans Eurasiens", c'est contrôler l'Eurasie. Et contrôler l'Eurasie, c'est contrôler le monde. Par un assez grand hasard, j'ai décidé de relire ce livre peu de temps avant les attentats du métro de Moscou, et il est assez évident à mes yeux qu'il existe un lien entre ces faits et le livre de Brzezinsky, et bien entendu aussi la Tchétchénie ainsi que cette région du Caucase qui est source de conflit depuis beaucoup de temps.

Dans les discussions qui ont suivi ces attentats, j'ai lu beaucoup de réactions sur le comportement russe dans le Caucase. Je ne suis évidemment pas là pour défendre le pouvoir russe, car je défends rarement les pouvoirs. Néanmoins, j'aimerais rappeler certaines choses qui sont dévoilées dans "Le grand échiquier". Cet oeuvre a le mérite d'être une source presque inépuisable de réflexions impérialistes sur le continent eurasien, et plus particulièrement sur son centre matérialisé par les Balkans eurasiens qui englobent des pays allant de la Géorgie jusqu'au Kirghistan, et du Nord du Kazakhstan jusqu'en Afghanistan. Les Etats-Unis doivent maintenir une prédominance sur cette région, affirme l'ancien conseiller du Président Carter, car sinon, une vague de désordre pourrait les botter de la région. On peut envisager des partenariats avec des puissances régionales comme la Chine, la Russie, ou même la Turquie ou l'Iran, mais les Etats-Unis doivent rester maître d'oeuvre dans la région. La principale cible de Brzezinksy est bien évidemment la Russie. Non content d'avoir indirectement renversé le pouvoir soviétique, il n'hésite pas à affirmer que la Russie ne peut pas revenir à son stade de puissance impériale. On peut évidemment être d'accord avec le fait qu'un Empire n'est jamais bon pour assurer le maintien des Droits de l'Homme, mais pourquoi diable ne pas accepter que les Etats-Unis ne sont pas aussi un empire ? Evidemment, pour empêcher la Russie de redevenir une puissance de premier plan, il estime que la puissance états-unienne doit conclure des pactes avec les pays de la région comme par exemple l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, leTurkménistan, l'Azerbaïdjan ou d'autres. Les Balkans eurasiens sont d'une importance vitale car la région regorge de grosses ressources en gaz et en pétrole. Les Russes ne peuvent évidemment pas mettre la main sur toutes ces richesses, sinon les Etats-Unis pourraient perdre la main dans le coin. Pour cela, des gazoducs ou oléoducs seront mis en place dans la zone Sud, à travers l'Ouzbékistan, et la Géorgie, grand ami des Etats-Unis, comme on le sait.

La Tchétchénie se trouve évidemment dans la région, et nous savons très bien que les Etats-Unis cherchent à morceller des Etats "ennemis" dans le seul but de les affaiblir. Ils l'ont fait avec la Yougoslavie (et continuent de le faire), l'ont fait évidemment avec l'URSS, essayent de le faire en Bolivie et au Vénézuéla. Nous savons aujourd'hui que les élites régionales ou indépendantistes sont parmi les pires salopards qui règnent sur terre. En Ukraine, n'oublions pas que sous prétexte de massacres staliniens, ils se sont jetés dans les bras de nazis ou d'ultra conservateurs. En Géorgie, le président "Saccage-Ville" a détruit l'Ossétie du Sud. Au Vénézuéla et en Bolivie, les élites de Zulia et de Santa Cruz sont plus qu'ouvertement racistes et ne reculent devant rien pour déstabiliser des présidents démocratiquement élus et progressistes. En Tchétchénie, il semble que la situation est la même. Dans cet article, le Réseau Voltaire explique très bien l'ingérence des puissances occidentales pour s'assurer le contrôler politique et surtout économique de la région :


D’après un article de Venik, rédacteur en chef du site Aeronautics.ru, proche des services de renseignement russes, la frontière entre la Tchétchénie et la Géorgie aurait notamment servi de point de passage pour les mercenaires et les fournitures d’armes à la guérilla tchétchène, sous les auspices de la CIA. Un radar anti-aérien états-unien aurait ainsi fait son apparition en Tchétchénie, ainsi que plusieurs missiles anti-aériens Stinger. Michel Chossudovsky, universitaire canadien, a lui rendu compte de l’implication des services secrets pakistanais de l’ISI, traditionnellement très proches des services états-uniens, dans le conflit. Il cite notamment un article de la Gazette de Montréal selon lequel « l’ISI et ses intermédiaires islamistes sont en réalité ceux qui décident des actions dans cette guerre »

 

Le discours traditionnel que l'on développe dans nos pays, et parfois aussi ailleurs est le caractère totalitaire de l'Etat russe. Personnellement, je me garderais bien de parler du pouvoir russe, et de la société russe, car cela est finalement juger un pays de 17 millions de km2, le plus grand de la planète. Souvenons-nous de Sarah Pallin la folle dire qu'elle connaissait la Russie puisqu'elle se trouve à quelques kilomètres de son Alaska qu'elle a dirigé pendant quelques années. Les Russes avaient évidemment apprécié. Je suis plus inquiet et agacé de la manière avec laquelle les pouvoirs occidentaux, les médias, les citoyens, y compris de gauche parlent de la Russie. Personnellement, je ne suis pas russe, et je n'ai jamais donné de l'argent à l'Etat russe. Je n'ai a fortiori jamais voté pour un russe, bref je n'ai rien avoir avec ce pays, et je n'ai pas à me prononcer sur sa politique. Par contre, j'ai évidemment un droit de regard sur la politique de nos gouvernements et de notre camp atlantiste. Le fait que les Occidentaux s'ingèrent ainsi dans les affaires de la Russie, en défendant bien évidemment hypocritement les Droits de l'Homme n'est pas sain sur le plan politique et sur le plan des idées, mais aussi sur le plan géopolitique. Brzezinsky note bien dans son livre que l'Union Européenne et l'OTAN doivent s'étendre vers l'Est, "en partenariat avec les Etats-Unis" (traduisez "sous contrôle"), et les quelques déclarations sur l'intégration de républiques caucasiennes dans l'Alliance Atlantique devraient faire réfléchir les militants de gauche sur les répercussions de tels actes plutôt que de sempiternelles déclarations sur la situation des Droits de l'Homme dans un pays immense.

Quelqu'un pourrait-il me dire à quoi servent des critiques euro-américaines sur la politique interne russe et la gestion de ses problèmes civils ? A rien ... D'abord, Dimitri Medvedev et Vladimir Poutine s'en fichent complètement, et diront à cette bande d'hypocrites d'aller voir ailleurs, et surtout de balayer devant leur porte (Et ils auront raison !). Malheureusement, elles servent à certaines personnes de gauche à se donner bonne conscience, et à peu de frais. Je pense qu'il est nettement plus productif et honnête de critiquer les actions de nos autorités et d'empêcher de tels agissements envers la Russie, puissance nucléaire. La base de tout mouvement progressiste est avant tout d'oeuvrer sur le plan international pour la paix. Critiquer la Russie n'ira certainement pas dans le bon sens car elle ne réagira pas à nos jérémiades. Elle obéira à son peuple si celui-ci s'organise, mais il est évident que les citoyens russes, qui se sentent continuellement trahis par l'hypocrisie occidentale, ne veulent pas entendre parler de leçons occidentales sur le sujet. Il est donc important de renverser les priorités, et d'empêcher nos Etats de financer des terroristes qui travaillent pour des objectifs économiques et impérialistes. Venir parler d'auto-défense de Tchétchènes est peut-être partiellement vrai, mais cela occulte la seule réalité : la base de ce conflit est évidemment le pétrole convoité par les Occidentaux, et ils déstabilisent la Russie avec des fondamentalistes tchétchènes. Si il n'y avait aucun financement et appui logistique aux terroristes tchétchènes, il n'existerait probablement aucune guerre, et les déclarations pompeuses sur les pauvres tchétchènes n'existeraient pas. Ils vivraient en paix, et si les Russes voulaient vraiment les opprimer, le peuple russe pourrait s'y opposer.

Malheureusement, il existe chez nous cette mentalité paternaliste envers le monde, un brin colonialiste et nous croyons que nous devons systématiquement défendre les opprimés. Les militants de gauche, y compris les radicaux voudront toujours se donner une certaine virginité dans le domaine des Droits de l'Homme, mais cela entraîne parfois des situations inextricables, et des comportements arrogants. C'est prendre, consciemment ou inconsciemment, les Russes pour des incapables, alors que c'est en réalité un grand peuple. Je n'oublie pas tout le legs russe en matière de littérature et de pensée politique. Je n'oublie pas tout le sacrifice de ce grand peuple dans sa lutte contre le nazisme. Je n'oublie pas toutes les tragédies qu'il a vécues, et dont il s'est toujours relevé. Je pense donc qu'il a les moyens d'affronter le problème tchétchène tout seul, et que nous devons de notre côté empêcher nos gouvernants d'envenimer la situation.

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T
<br /> le droit d'ingérence? Je n'avais pas vu ça... qu'est-ce qu'il dit sur le droit d'ingérence, le Zemmour?<br /> <br /> <br />
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T
<br /> rock'n roll baby! Freedom of speech!<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Yeah !<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> deviendrais-tu Zemmourien??<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Je suis assez d'accord avec Zemmour sur l'UE, le droit d'ingérence, et même un peu une certaine critique de la gauche. Pour le reste, non évidemment.<br /> <br /> <br /> <br />