La révolution des naïfs

J'observe un petit peu ce qu'il se passe dans le monde arabe. Evidemment, c'est bien agréable de voir les Tuniens et les Egyptiens se débarasser de bourreaux. Mais dès le début, j'ai manifesté une certaine méfiance à l'égard de tout cela. Non pas, comme le pensent certains donneurs de leçons, que "l'Egypte ne devrait pas tomber dans le piège de l'islamisme" ou toute autre connerie du genre, mais quand je vois les journaleux s'extasier sur ces mouvements de foules, je deviens perplexe. Voilà que les plus grands responsables de l'immobilisme conformiste et des restrictions à la liberté d'expression se gaussent de "la liberté dans le monde arabe". Comme je l'ai déjà dit, il n'y a pas que le monde arabe : j'aimerais bien qu'Israël, l'Afrique du Sud du 21º siècle, change. Mais visiblement, c'est pas pour demain. J'aimerais aussi que ça pête ailleurs, comme au Pérou ou en Colombie. Mais non, ce sont au contraire les classes moyennes sud-américaines qui aimerait bien que "le Vénézuéla et Cuba se débarassent de leur dictateur". Alors voilà, il faut que le monde arabe se libère, devienne une gentille démocratie occidentale. Il faut que cela continue, comme en Iran par exemple.

En fait, quand on brandit l'étendard de la révolution en Iran, on voit là toute l'hypocrisie des journaleux. C'est là que les choses doivent changer, pas ailleurs, pas en Israël. Mais à votre avis, pourquoi cela n'a déjà pas marché en juin 2009 ? A l'époque, "l'opposition" avait déjà manifesté, mais aucune "révolution" n'avait abouti. Il y aura bien sûr des petits malins pour me dire que ce régime est tellement dictatorial qu'il empêche toute révolution. Ces gens-là devraient suivre un cours d'histoire du Chili. Le régime iranien n'est certainement pas aussi féroce que ne l'a été Pinochet. En réalité, il est fort probable que les élections iraniennes n'aient jamais été truquées. Il est aussi fort probable que les "opposants" ne soient qu'une bande de mercenaires téléguidés par la NED états-unienne. Beaucoup de manifestants étaient des adeptes de la politique états-unienne, et voulait utiliser le prétexte des élections pour renverser Ahmadinejad. Non, Messieurs les Démocrates, une "dictature" tombe quand elle n'a plus assez de succès auprès de la population. Ce n'est pas le cas de l'Iran, comme on peut le voir. C'est le pays arabe actuel où les manifestations sont les plus faibles. Rien avoir avec la Tunisie et l'Egypte, ou même la Lybie.

En outre, les manifestants "démocrates" de gauche laïque devraient faire très attention : cela pourrait se retourner contre eux. N'oublions pas qu'Ahmadinejad est un anti-impérialiste, et a formé des alliances avec d'autres pays anti-impérialistes, comme le Vénézuéla. Voir tomber l'Iran et passer dans le camp "impérialiste" serait tout sauf une victoire pour les dissidents du monde entier. Il montrerait qu'on peut avant tout renverser les "mauvais" et que les autres, les "gentils" sont des saints démocrates qu'il ne faut pas critiquer. La politique iranienne n'est pas gouvernée que par la religion. Quand Ahmadinejad dicte une politique économique, ce n'est pas en jurant sur le Coran. C'est guidé par les impératifs de la nation iranienne et par une volonté de multilatéralisme en opposition avec l'impérialisme. Bref, la politique iranienne peut être juste, et contribuer à apporter moins de cynisme dans ce monde.

Si je vivais en Iran, sans doute qu'il y aurait des choses qui me répugneraient, mais je me refuse à porter un quelconque regard sur la politique interne de ce pays que je ne connais pas, cela parce que les médias déforment la vérité sur l'Iran. Je me contenterai de dire qu'une chute du régime iranien serait mauvais pour un rééquilibrage du monde vers plus d'égalité entre les nations, et que désirer à gauche un changement de régime dans ce pays dans la continuité des révoltes arabes est une très mauvaise anticipation de ce qu'il pourrait se passer après, et une justification des politiques imbéciles des puissances occidentales.